Bilan 2013 : grandes plumes du marché

[17/12/2013]

 

Avec les nouveaux sommets atteints en 2013, nous avons demandé aux grandes plumes du marché de l’art de nous dire ce qui les surprend encore aujourd’hui sur le marché de l’art et ce qu’ils attendent de 2014.

Georgina Adam – The Art Newspaper / Financial Times (Royaume-Uni)
Oui, il est encore possible d’être surpris aujourd’hui. Un petit groupe d’ultra-riches, en quête de prestige (achats trophées) et de solutions d’investissement alternatives, continue de rechercher les œuvres d’un petit groupe d’artistes phares. Pour autant que j’ai été étonnée des prix atteints en 2013, je ne serais pas surprise que l’offre continue d’augmenter, les propriétaires de ces œuvres considérant que c’est le moment idéal pour vendre et « battre le fer quand il est chaud ». Je serais étonnée que le marché se calme en 2014. Cependant, dans le long terme, un facteur déterminant sera la capacité d’achat du Qatar car, si elle devait diminuer, cela pourrait poser de réels problèmes.

Thane Peterson – Artnews (Etats-Unis)
Ce qui me surprend est la permanence de la domination masculine sur le marché de l’art. Certes, en 2013, les prix se sont envolés à des niveaux frisant le ridicule dans presque toutes les catégories : l’art chinois, l’art indien, la peinture contemporaine, la photographie, l’art hyper réaliste, l’Arte Povera, l’art impressionniste, etc., etc. Cela dit, en regardant de plus près, on se rend compte que presqu’aucune femme ne figure au nombre des vedettes du marché, à quelques exceptions près : Yayoi KUSAMA et MARISOL parmi les artistes japonais vivants, Beatriz MILHAZES et Adriana VAREJAO au Brésil, Joan MITCHELL pour les artistes américains du XXème siècle, Diane ARBUS pour les photographes. Mais dans tous les pays et dans toutes les catégories, les artistes phares sont presque tous des hommes.
Ce qui est compréhensible, au regard de notre histoire : les contributions des femmes étaient marginalisées dans la quasi totalité des cultures il y a encore quelques dizaines d’années. Par exemple, les livres classiques d’histoire de l’art américain des années 70, quand j’étais à la fac, ne mentionnaient quasiment aucune femme. Il est d’autant plus difficile de comprendre comment et pourquoi cette injustice perdure en 2013 qu’un nombre important de prescripteurs influents sont des femmes : on retrouve Victoria Miro et Barbara Gladstone parmi les marchands, des dirigeants de maisons de ventes comme Amy Cappellazzo et de nombreuses conservatrices de musées.
La raison pour laquelle les femmes restent des artistes sous-évaluées est, selon moi, que la plupart des grands collectionneurs restent des hommes riches qui ont tendance à être conservateurs. Ils pensent en termes de tradition, et partent du principe que les préjugés du passé perdureront dans le futur. Si j’étais collectionneur, je me concentrerais sur les artistes femmes, parce que le temps changera les mentalités. Les femmes vont gagner en reconnaissance et le prix de leurs œuvres va progressivement rattraper les niveaux de prix des œuvres des hommes. Ce qui veut dire quand dans les quelques dizaines d’années à venir, la cote des femmes talentueuses aura augmenté bien plus rapidement que celles des hommes.
Qu’est-ce qui me surprendrait en 2014 ? Que les femmes acquièrent plus de reconnaissance qu’en 2013. Cela viendra, mais lentement.

Penny Liu – Harper’s Bazaar Art (Chine)
En ce qui concerne le marché local, j’ai été surprise qu’un nouveau collectionneur local (Zhang Xiaojun) achète un ZAO Wou-Ki chez Sotheby Pékin en décembre. Bien que l’oeuvre de FANG Lijunait été ravalée lors de la vente du soir de Poly Auction, Pékin, il a malgré tout décidé d’acheter cette œuvre à son estimation basse (25 mCNY) le lendemain lors de la vente du jour de Poly Auction, Pékin.
Au niveau du marché international, j’ai été heureuse des 180 mHKD de ZENG Fanzhi, bien qu’inquiète que ce prix puisse ébranler la paix intérieure de l’artiste. Il est possible que seul le record reste dans les mémoires, au détriment de son œuvre, qui joue pourtant in rôle important dans l’histoire de l’art contemporain chinois.
En 2014, nous verrons d’autres œuvres d’artistes contemporains chinois se vendre au-delà du seuil des 10 mCNY/RMB. Cette pression, mue par la recherche du pouvoir et du profit, est néfaste pour le milieu de l’art contemporain chinois.

Armelle Malvoisin – Beaux Arts (France)
Il n’y a pas beaucoup de choses qui me surprennent sur le marché de l’art. À commencer par les prix records aux enchères. Dans un marché complètement globalisé, de nouveaux collectionneurs milliardaires venus des quatre coins du monde font logiquement monter les prix en fonction du niveau de leurs portefeuilles. En ventes publiques, ces acheteurs livrent une bataille acharnée pour acquérir les œuvres emblématiques des artistes majeurs, modernes et post-war, et celles des artistes contemporains à la mode. Tout cela est très bien orchestré par les deux principales maisons de ventes internationales.
Durant les foires comme Art Basel, ces collectionneurs jettent leur dévolu sur les œuvres d’artistes présentés par des galeries d’art prescriptrices de tendances. Enfin, les expositions institutionnelles (musées, fondations) contribuent à valider les choix artistiques, contribuant à faire monter la cote des artistes sur le second marché. Les collectionneurs fortunés se réjouissent de posséder un morceau d’histoire de l’art et de participer à la découverte d’artistes actuels qui seront les valeurs de demain. On parle donc de plaisir, de prestige et d’investissement. Un cocktail qui devrait de nouveau porter ses fruits en ventes publiques en 2014, avec un nouveau seuil de records qui devrait tourner autour des 200 m$, voire plus.

Kelly Krow – Wall Street Journal (Etats-Unis)
Le marché de l’art me surprend en permanence- notamment quand, en continuelle expansion, il se déplace autour du monde selon des mouvements migratoires sinueux.
Les collectionneurs chinois surenchérissent désormais sur Giorgio MORANDI et Jean-Michel BASQUIAT, des artistes auxquels ils ne prêtaient pas vraiment attention il y a quelques années tandis que des Coréens d’un peu plus d’une vingtaine d’années enchérissent en salles sur Francis BACON à coups de plus de 100 millions de $ – sans parler des 142 M$ qui ont détronés “Le Cri” de Edvard MUNCH dont je pensais qu’il détiendrait le record un peu plus longtemps.
Mais cela me fait toujours autant plaisir quand, malgré toute notre focalisation sur l’art en tant qu’actif , quelques uns des mes temps forts de cette année sont des découvertes d’oeuvres d’artistes dont je n’avais jamais entendu parler – comme Yüksel ARSLAN ou Arthir Bispo do Rosario et tous les autres de l’expo décalée ” Palais encyclopédique” de la Biennale de Venise. J’ai aussi adoré voir “La jeune fille à la perle” de Barend VAN DER MEER au musée Frick de NY ou encore le “Galate mourant” à la National Gallery de Washington. Après toutes ces années, je me sens soulagée quand une oeuvre a toujours le pouvoir de me couper le ouffle -sans indication de prix.
Ceci dit, nul doute qu’avec un portefeuille bien garni essaiera de battre le dernier prix record. Bacon, profitez donc de votre titre, le temps qu’il durera…